Les concentrations dans cette branche (qui comprend également la S.N.E.C.M.A., Dassault…) sont engagées depuis longtemps. Le 1er janvier 1970, réveillant un projet qui dormait dans les tiroirs des ministères depuis plusieurs années, le gouvernement amène trois sociétés (Sud-Aviation – Nord-Aviation - Sereb) à fusionner pour former la S.N.I.A.S. Ses activités sont très diverses : avions civils (« Nord 262 », « Caravelle », « Concorde », « Airbus »…) hélicoptères civils et militaires, fusées « civiles », engins balistiques et tactiques (fusées M.S.B.S. et S.S.B.S., joujoux de la force de frappe), laboratoires d’électronique… Elles sont réparties dans dix-huit établissements (Saint-Nazaire, Toulouse, Mérignac, région parisienne…).
M. Ziegler (P.-D.G. de Sud-Aviation) devient à cette date son prince directeur général. L’État l’a choisi pour sa réputation d’homme à poigne : après avoir appartenu longtemps au cabinet du fringant Chaban-Delmas, il a réussi à Breguet l’opération ramenant cette société sous la coupe d’un député U.D.R. (M. Dassault), avant de se faire beaucoup d’« amis » parmi le personnel d’Air France qu’il dirigeait. La Sainte Trinité capitaliste : Fusion – Concentration – Rationalisation est alors jetée en pâture à l’« opinion publique ». Que cache-t-elle ?
L’option fondamentale, comme pour les P.T.T., les autoroutes, la santé…, est de permettre au secteur privé de s’approprier tout ce qui est juteux et rentable dans la branche aérospatiale. Il faut profiter au maximum de cette Ve République où la coïncidence des puissances économiques capitalistes et de l’État n’a jamais été aussi grande.
Bien sûr, depuis longtemps de nombreux artifices aident les deniers publics à aller dans les « bonnes » poches. Par exemple, les « Mirage », émissaires de la culture française dans les pays sous-développés, ont été en partie construits sur des plans étudiés par Sud-Aviation (entreprise qui appartient à l’État) pour le « Trident ». Dassault eut la généreuse idée de sous-traiter à Sud-Aviation des éléments de son « Mirage » ; les conditions sont telles que Sud-Aviation perd de l’argent sur certaines pièces qu’il livre.
Le démantèlement a démarré depuis trois à quatre ans. Ainsi sont restitués par Sud-Aviation au privé : Téléavia, Frigéavia, Rhodavia, Caravelair (sauvé un moment par mai 1968). Mais M. Ziegler n’engage les grandes manœuvres qu’après la fusion. Il porte la participation possible des capitaux privés dans la S.N.I.A.S. à 33% alors que la quasi-totalité des actions de Sud-Aviation appartenait à l’État. Il s’engage sur la voie de la liquidation des établissements de la région parisienne (Châtillon, Suresnes, Courbevoie, Puteaux, Les Mureaux, La Courneuve, Or1y, Les Gâtines) ; on a pu entendre à la direction générale : « Le dernier établissement de la région parisienne sera Châtillon et il aura disparu dans dix ans. »
Enfin des bruits circulent sur la création de « France Aviation » dans laquelle, à la faveur des difficultés actuelles de la S.N.I.A.S. (problèmes financiers pour le « Concorde », accident destructif du seul prototype, « S.N. 600 », rapport alarmiste du parlementaire U.D.R. De Chambrun inspiré par Dassault…), plusieurs financiers, dont Dassault, se partageraient les dépouilles de la S.N.I.A.S.
Une tactique précise est appliquée par la direction générale, proche de celle utilisée pour d’autres cas de fusions (C.S.F.-Thomson). Il ne faut pas sous-estimer l’habileté des tenants du pouvoir économique actuel.
Pourquoi la région parisienne ?
Tous ces éléments font des 10.000 travailleurs de la région parisienne un champ de manœuvres plus facile pour la direction.
Citons quelques opérations engagées : éclatement de Suresnes et Châtillon ; fermeture des annexes d’Orly, Melun-Villaroche, Les Gâtines ; fermeture annoncée pour 1974 de Courbevoie et Puteaux… Les méthodes sont en général les suivantes :
Pour bien comprendre la situation dans la région parisienne, il faut signaler que, par rapport aux entreprises de la métallurgie, le nombre de travailleurs horaires est assez faible (environ 35%) alors que les cadres et les administratifs sont très nombreux (30%). La moyenne d’âge est assez élevée, excepté pour les mensuels (techniciens, dessinateurs).
Par ailleurs, l’influence électorale des syndicats est à peu près la suivante : C.G.T. : un peu moins de 50% ; C.F.D.T. : 25 % ; C.G.C. et F.O. : 20% ; divers : quelques pour cent.
Les travailleurs
Beaucoup réagissent individuellement en essayant de se recaser à l’intérieur ou à l’extérieur de la société (en particulier les jeunes et les cadres). Ils ne prennent en général pas d’initiative et se reposent sur leurs « représentants ». Seules des actions unitaires, spectaculaires et susceptibles d’avoir une influence entraînent une participation importante (manifestation des travailleurs de Suresnes dans la rue ou devant la direction générale).
Ils perçoivent confusément les choix de la direction et sont sceptiques sur les possibilités de les faire changer.
Les syndicats
Dans ce scénario bien réglé par la direction où chacun tient un rôle à son insu, la dispersion du département d’électronique de Suresnes (150 personnes) constitue une exception.
Dès l’annonce (avril 1970) de la disparition prévue pour septembre, le personnel se réunit fréquemment en assemblée générale. En commun, il fait l’analyse de la situation et engage des actions, d’abord pour obtenir des informations, ensuite pour modifier les décisions de la direction (dispersion du département et vente d’une partie à une société privée). Deux types d’action se dégagent :
L’ensemble de ces actions, lié au fait que les mutations individuelles ont longtemps été refusées en bloc, a obligé la direction à reculer : la date d’application a été repoussée de plusieurs mois, les conditions de mutation ont été améliorées. L’objectif recherché, maintien et développement du groupe électronique, n’a pu être atteint pour deux raisons : revirement du chef du département, non-généralisation de l’action.
Il faut souligner les éléments qui ont favorisé ces actions :
Chaque fois qu’un groupe de travailleurs conteste une décision patronale, certaines conditions peuvent donner à leurs actions un sens réellement révolutionnaire.
Il parait essentiel que les éléments les plus conscients (ou se considérant comme tels) évitent de former une « élite du prolétariat » ou une « avant-garde » prenant les choses, et les individus, en main. Leur seule action spécifique doit être de favoriser la prise de conscience PAR TOUS des choix réels du groupe face à ceux du patron. Citons par exemple :
L’ACTION étant la meilleure des pédagogies, rapidement ce qui divise n’aura plus guère d’influence : différences catégorielles, appartenances syndicales…
Le plus souvent, les critères mis en avant par le patron ( rentabilité, progrès…) se révèlent impliquer la manipulation des travailleurs comme des pions. On peut ainsi montrer la contradiction ABSOLUE entre les désirs de chaque individu et la (nouvelle ?) société encore en place. Les barrières à abattre (État, patronat, hiérarchie…) sont mises en évidence.
Enfin, dans de telles actions, on apprend à se passer de chefs ; de là à imaginer que ce serait réalisable toujours dans une société autogérée et socialiste.
Un groupe de travailleurs de la S.N.I.A.S.